Le sacré dans les actes quotidiens.

Des peuples primitifs qui commencèrent à pratiquer l’agriculture et l’élevage, nous ne savons pas grand-chose, hormis quelques traces de déités certainement liées à la fertilité des champs et des troupeaux.
Ce sont les premiers écrits qui nous éclairent sur les rites et les légendes associés aux divers dieux et déesses vénérés au cours de l’année, ceux qui assurent les récoltes, chassent les maladies, et empêchent disette, famine et épidémies de ravager des cités.

Les Romains, qui ont conquis l’ensemble du bassin méditerranéen, ont créé et diffusé un syncrétisme des divers dieux et déesses, majeurs et mineurs, vénérés dans tous les lieux conquis et dans différentes classes sociales. Certaines fêtes s’adressaient aux agriculteurs, d’autres aux vignerons, d’autres encore aux bergers. Certaines étaient réservées aux hautes classes patriciennes, d’autres encore à la plèbe, d’autres aux affranchis ; quelques-unes permettaient le brassage et le mélange des hommes libres avec les esclaves.
Les fêtes originelles qui servaient à vénérer des dieux marquaient le calendrier annuel des évènements agricoles. Leurs dates étaient calculées en fonction des jours fastes et néfastes attribués sur des bases astrologiques ou historiques (par exemple, le jour de la mort d’un empereur devenait néfaste) puis les actes en eux-même participaient au rite de vénération du Dieu ou de la Déesse concernés.
Avec le temps, d’autres fêtes se sont ajoutées, mais celles-ci n’avaient plus le caractère agricole des fêtes primitives : il s’agissait de commémoration de victoires sur des ennemis, du renversement d’un tyran, ou de la prise du pouvoir de l’empereur en cours, qui n’était pas supprimée par l’empereur suivant (il n'est jamais populaire de supprimer un jour férié...)
L’ensemble de ces fêtes étaient célébrées dans tout l’empire romain, jusqu’à sa chute ; c’est ainsi qu’en Europe, elles étaient célébrées officiellement jusqu’au IVème ou Vème siècle de notre ère.

On peut les répartir selon les critères suivants :
Fêtes agricoles, principalement liées aux céréales.
La déesse Cérès avait droit à plusieurs jours de festivités du 12 au 19 avril, mais de petits dieux avaient droit à leur jour de célébration. Ainsi Terminus, dieu des bornes des champs, était fêté le 23 février, lorsqu’on devait préparer la Terre et vérifier que personne n’empiétait sur un champ voisin. On offrait à Liber, dieu protecteur des champs, des gâteaux d’huile, de farine et de miel, le 17 mars. A la déesse de la Terre, Tellus, qui portera les semences jusqu’à ce qu’ils donnent leurs fruits, étaient sacrifiés le 15 avril des génisses pleines. Les maladies étaient également conjurées, par exemple le 25 avril, le dieu Robigus, protecteur d’une maladie du blé, la rouille, était vénéré en lâchant des renards portant une torche enflammée au bout de leur queue.
Le nombre de fête diminue pendant Juin et Juillet, car les travaux agricoles prennent beaucoup de temps et ne laissent pas place à l’organisation de festivités, mais les dieux ne sont pas négligés pour autant.
Tout le mois d’août était réservé à la moisson, et aux dieux liés : Consus, Dieu des réserves, et Ops, déesse de l’abondance (qui a donné le mot opulence). Ils sont encore fêtés au cœur de l’hiver, le 15 décembre, pour les remercier de passer l’hiver avec les récoltes de l’année.

Fêtes de la vigne et du vin.
Même si c’est le nom de Bacchus qui vient à l’esprit, c’est plutôt Jupiter qui était imploré en août pour l’empêcher de ravager les vignes sous les orages. Le 11 Octobre, le vin nouveau était offert à Jupiter, et il était supposé avoir des vertus curatives ; Mais il était officiellement bu le 23 avril en fin de fermentation.

Fêtes des éleveurs.
Le Dieu Faunus protégeait les troupeaux des attaques de loups, et il fertilisait les brebis et génisses. Par extension, il était devenu un dieu de fertilité pour les femmes de la cité, qui se faisaient fouetter par les bergers consacrés par le sacrifice d’un bouc lors de la fête des Lupercales, le 13 ou 15 février. Il était encore fêté en Décembre.

Fêtes diverses.
Une fête des bois et des forêts était célébrée par les bûcherons ; des nymphes et des dieux liés aux sources, fontaines, points d’eau étaient fêtés par ceux qui les utilisaient, dont les pêcheurs et les bateliers. Une autre célébrait les abeilles et les remerciait de leur miel, une autre les fleurs et les fruits, célébrée par les maraîchers.

Lors de la fin de l’empire Romain, lorsque celui-ci a fait du christianisme sa religion officielle, les fêtes étaient localement conservées, même si les noms invoqués n’étaient plus les mêmes. Ainsi, les moissons de blé du mois d’août génèrent dans les villages de nombreuses « fêtes de battage », qui rappellent les fêtes dédiées à Consus et Ops. Le 15 août, jour dédié à la Vierge, tous les ports sont en fête dés le matin, pour la messe de bénédiction des marins, et la bénédiction des bateaux en mer ou au port. Puis, dés que les touristes se réveillent et rejoignent les habitants du lieu à la fête, ils ne voient plus que les jeux, les brocantes et les banquets.

Mais toutes ces fêtes publiques ne concernent que les activités faites en commun, en extérieur. Les activités domestiques avaient également leurs rites. Tous les produits que les dieux ont donnés, et pour lesquels ils ont été remerciés : blé, huile, vin, laine… sont ensuite stockés dans les greniers et utilisés au fur et à mesure des besoins, et c’est avec la même déférence avec laquelle ils ont été stockés, qu’ils sont ensuite sortis des greniers et utilisés.

Un autre exemple de rituels et de prières qui nous soit parvenu est le Carmina Gadelica, un recueil de prières en Gaélique, parlé en Ecosse. Les prières chantées, quelquefois en commun, invoquent les personnages chrétiens pour les actes domestiques, mais on suppose que la coutume de prier lors de ces actes était déjà instaurée dans les familles, au haut moyen-âge, avant que le christianisme impose ses figures et relègue les anciens dieux aux enfers. Ainsi, dans la prière du séchage des grains de maïs (BEANNACHADH FUIRIRID : THE BLESSING OF THE PARCHING), le Christ est appelé « Roi des éléments », dans le sens où il régit le climat, comme le faisait Jupiter. La trinité est également invoquée, les anges et archanges, et fréquemment Marie pour tout ce qui concerne les activités féminines, ainsi que pour la montée de lait des femmes enceintes comme des vaches. Mais des allusions à un Brendan maître des Océans, et un Ternan maître des hommes, montre que des saints locaux sont également ajoutés à ces prières.

En général, lorsqu’un travail demandait peu de réflexion, mais qu’il était pénible ou répétitif, donc que l’esprit pouvait être enclin à vagabonder, c’était le bon moment pour insérer une prière récitée, ou chantée, pour se concentrer sur un rythme soutenu à tenir, et pour ne pas voir le temps passer. Dans les paroles, Dieu et ses saints étaient remerciés ou implorés, ou bien des recettes, des quantités étaient plus facilement mémorisées, afin de reconstituer des mélanges de plantes pour teindre la laine par exemple.

Des prières étaient récitées pour faciliter le séchage des céréales, et éviter leur pourrissement. Lorsque les impôts sur l’utilisation des moulins étaient trop élevés, certains devaient moudre le blé sur des meules de pierre à la force des bras. Des chants donnaient du courage pour moudre le grain, en imposant un rythme qui optimisait l’efficacité de la meule.
D’autres chants accompagnaient les agneaux depuis la naissance jusqu’à l’abattoir, et également pendant les tontes, afin que leur chair soit bonne, comme leur laine, et qu’ils ne tombent pas malade. Les vaches étaient aussi traites en chanson, au point que le lait ne pouvait sortir que si elles entendaient leur air quotidien, et qu’elles retenaient leur lait si une autre voix la leur chantait.

Puis le cardage, le filage, et le tissage de la laine étaient également fait en prière, avec des ritournelles qui permettaient de se souvenir de l’ordre des fils à passer pour réaliser des points particuliers, des arrangements de couleur… et pour prévenir de la casse des fils en cours d’ouvrage.

Sources:
Fêtes religieuses romaines
Les fêtes romaines
Carmina Gadelica
Vol I et II: 1900 Alexander Carmichael
Vol III et IV: 1941-1942 James Carmichael Watson
Vol V et VI : 1954-1971 Angus Matheson